Par Sahar El Echi – Doctorante en art et sciences du cinéma et de l’audiovisuel
Ce projet de thèse en études cinématographiques s’intitule Les récits de l’exil dans le cinéma méditerranéen (2000-2020). Il vise à analyser la relation que les images et les récits filmiques entretiennent avec le phénomène migratoire contemporain.
Plus précisément, il se focalise sur la représentation des récits de l’exil et de la « crise migratoire » dans le cinéma méditerranéen, articulant une approche narratologique et esthétique à une méthodologie transdisciplinaire, faisant intervenir des théories des sciences sociales issues, notamment, de la sociologie, de l’anthropologie et de l’histoire.
This cinema studies thesis project is entitled Narratives of Exile in Mediterranean Cinema (2000-2020). It aims to analyse the relation that filmic images and narratives have with the contemporary migration phenomenon.
More specifically, it focuses on the representation of narratives of exile and the “migration crisis” in the Mediterranean cinema, articulating a narratological and aesthetic approach to a transdisciplinary methodology, involving social science theories from sociology, anthropology and history.
يحمل هذا المشروع، وهو أطروحة دكتوراه حول الدراسات السينماتوغرافية، عنوان « قصص المنفى في السينما المتوسّطية (2000-2020) ». ويهدف إلى تحليل العلاقة التي تربط الصور وقصص الأفلام بظاهرة الهجرة الحديثة.
وترتكز الأطروحة تحديدا على تمثّلات قصص المنفى وأزمة الهجرة في السينما المتوسّطية، عبر دمج المقاربة السردية الجمالية مع منهجية متعدّدة الاختصاصات تتضمّن نظريّات العلوم الاجتماعية، خاصّة منها المتعلّقة بعلم الاجتماع، بالانثروبولوجيا وبالتاريخ.
Depuis ces vingt dernières années, le phénomène migratoire soulève des questions qui agitent la société et dont le cinéma se saisit à son tour. Étant pris comme matériau et moyen d’étude, ce dernier fournit à l’histoire de l’immigration un outil de lecture et montre, par là même, la manière dont la société traite de l’altérité en prenant appui sur la figure de l’étranger. Témoin des enjeux de son temps, « l’art du cinéma ne consiste ni à représenter le monde ni à le renier, mais à le fragmenter et à le rassembler pour le faire apparaître sous un autre jour lui conférant ainsi la qualité d’un monde neuf qu’aucun des arts existants ne laissait soupçonner ».
En quelques décennies, les sciences sociales ont investi, de manière significative, l’étude des représentations des minorités et des marginaux au sein du 7e art. D’un point de vue sociologique, l’immigré.e est envisagé.e depuis la place qu’il/elle occupe dans les différents rouages administratifs et juridiques. Il/elle est, de fait, considéré.e comme un sujet, sur un mode passif, et non pas agissant. Cependant, la nature identitaire d’un groupe n’est pas uniquement déterminée par le rapport établi par les institutions de classement social. Elle se définit aussi dans les relations intersubjectives et, plus largement, par sa place respective dans le spectre de l’idéologie et des représentations.
L’histoire du cinéma intéresse dans le sens où il appréhende, sur une époque donnée, un mouvement et un mode de production en tant que réalités variables, en perpétuelle mutation. Elle a une vocation herméneutique car elle opère à tous les niveaux et entre en interaction avec d’autres disciplines, notamment la sociologie et l’anthropologie.
Le cinéma méditerranéen s’est fait l’écho de cette situation en véhiculant des films et des récits qui sont devenus emblématiques de ce que l’on a appelé la « crise migratoire » et qui ont contribué à ranimer la longue tradition de la représentation cinématographique de l’étranger. Les cinéastes ont répondu à leur tour à ces images, parfois controversées et génératrices d’émotions.
Plusieurs raisons ont orienté cette recherche, parmi lesquelles l’actualité du sujet, l’importance du récit et son esthétisation sur le plan cinématographique.
La migration continue à être, et de manière encore plus poignante, au cœur du débat. Au cours des deux dernières décennies, des hommes, femmes, familles quittent leur pays de naissance ou de résidence et tentent de rejoindre l’autre rive de la Méditerranée, du fait de guerres, ou pour des raisons politiques, économiques, sociales, etc.
Cette actualité, avec les situations dramatiques qu’elle entraîne, a mis en lumière l’importance du récit dans le destin et l’histoire du sujet migrant. Sur le plan cinématographique et esthétique, ces récits intéressent le chercheur dans un contexte socioculturel et géopolitique en mouvement.
Cependant, parler d’esthétique et d’immigration semble, de prime abord, inapproprié quand il s’agit de douleur, de séparation et d’aliénation. Néanmoins, les images véhiculées ont la force de constituer un lieu, un espace de mémoire et permet au spectateur de se retrouver dans son propre imaginaire et ses propres représentations à travers la caméra, les espaces, les regards, le cadre et le hors-cadre.
Cependant, le corpus filmique n’inclut pas toutes les œuvres qui traitent de cette question, mais porte sur les multiples cinématographies du cinéma méditerranéen depuis les années 2000.
En effet, le sujet de l’immigration est traité dans plusieurs domaines et sous différents angles, mais cette recherche en cinéma permet de développer un regard critique vis-à-vis de la question. Considérée dans ses dimensions esthétiques et sémantiques, cette recherche se retrouve au croisement de plusieurs disciplines. Le phénomène migratoire complexe impose également au chercheur de diversifier les angles de vue et les outils de recherche, en raison du changement structurel dans la façon de penser et des relations entre les acteurs.
Le sujet étant composite, et compte tenu de la nature du corpus, les critères d’analyse empruntent à plusieurs disciplines. C’est la raison pour laquelle les théories mobilisées sont empruntées aux différents domaines des sciences sociales. Il y est question d’idéologie, d’identité(s), de frontières, d’aliénation, autant d’outils et de concepts indispensables à la compréhension de l’univers dans lequel s’inscrit cet objet d’étude. Il est important de constater et d’analyser la manière dont ces images animées et ces récits véhiculent des représentations et des figures diverses.
Comment ces récits et films aident-ils à mieux comprendre la vision que « l’autre » a de « l’autre » ? Qu’est-ce que cela engendre dans nos imaginaires collectifs et individuels ? Toute l’entreprise de ce projet doctoral est de proposer une réponse à cette question.
Bibliographie sélective :
AGIER Michel, 2002, Aux bords du monde, les réfugiés, Paris, Flammarion.
ARMES Roy, 2012, Dictionnaire des cinéastes arabes du Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan.
AUMONT Jacques, BERGALA Alain, MARIE Michel, VERNET Marc, 2021, Esthétique du film. 125 ans de théorie et de cinéma, Paris, Armand Colin.
BADIOU Alain, 1993, L’éthique. Essai sur la conscience du mal, Paris, Hatier.
BAZIN André, 2002, Qu’est-ce que le Cinéma ?, Paris, Les Éditions Du Cerf.
BRESSON Robert, 1975, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard.
BOURDIEU Pierre, 2001, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Fayard.
LE HOUÉROU Fabienne, 2016, Filmer les réfugiés : cinéma d’enquête, études visuelles et subjectivité assumée. Documentaires, films ethnographiques, ethno-fictions ou égo-fictions ?, Paris, L’Harmattan.
RICOEUR Paul, 2000, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil.
SAYAD Abdelmalek, 1999, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Éditions du Seuil.
SORLIN Pierre, 1977, Sociologie du cinéma, Paris, Aubier.